Histoire du 1er mai

Introduction

Le 1er mai est à la fois une journée internationale et un jour sacré chez les celtes. Fidèle à mes habitudes, je vais donc vous parler d’un peu de mon identité sociale, de la fête du travail ou fête des travailleurs, et enfin je vais vous bousculer un peu, puisque nous avons eu l’occasion de parler de la place du “travail” et que l’on parle toujours et encore de la “work-life balance”. Comme ils disent sur Youtube: allez bien jusqu’au bout (de l’article)!

Identité sociale : la fête de Beltaine

Dans la tradition celtique, le premier mai marque le début de la saison de Beltaine, une fête dédiée à la fertilité et à la renaissance de la nature. Succédant à Samain, Imbolc et Ostara, Beltaine célèbre l’arrivée de la saison claire et est associée aux entités divines de la partie diurne de l’année indo-européenne, en particulier le feu. Les noms de Belenos et Belisama lui sont donc souvent associés. Le “feu de Bel” est un feu de purification bénéfique suscité par des incantations efficaces, et le feu de Beltaine est considéré comme puissant, sacré et fort.

Encore aujourd’hui, dans les régions où les traditions celtiques sont célébrées, des feux de joie sont allumés pendant la nuit de Beltaine pour honorer les dieux et déesses celtes. Autrefois, on faisait passer le bétail entre les feux afin de le protéger des épidémies pour l’année suivante. Les célébrants décorent également les arbres et les maisons avec des rubans et des fleurs, symbolisant la renaissance de la nature et la fertilité. On trouve encore les mâts de mai, de grands poteaux plantés dans le sol avec des rubans de toutes les couleurs attachés en leur sommet, chaque participant tournant autour du mât avec un ruban dans la main.

Certains avancent que la tradition d’offrir du muguet le premier mai remonte à l’époque celtique. Le muguet était considéré comme une plante sacrée, symbole de la déesse de la fertilité et de la nature, Beltaine. Éphémère, il était capable de chasser les mauvais esprits et d’apporter la bonne fortune. Offrir des brins de muguet était donc une façon de célébrer la fête de Beltaine et d’apporter des bénédictions à ses proches. Cette tradition s’est perpétuée au fil des siècles et est encore bien présente aujourd’hui dans de nombreux pays.

Historicité sociale : la lutte ouvrière

De manière moins joyeuse, le premier mai est aussi une journée emblématique de la lutte ouvrière. Cette journée rappelle les sacrifices des travailleurs pour obtenir des droits fondamentaux, en particulier la journée de travail de huit heures. Cette lutte pour les droits des travailleurs remonte au XIXe siècle, lorsque les travailleurs ont commencé à se battre pour des conditions de travail plus justes. Car oui, les gens : si vous ne travaillez pas le premier mai et si vos journées ne durent que 8 heures (voire 7, en France), cela vient de la lutte ouvrière, pas de la bienveillance de vos employeurs…

En 1886, à Chicago, les travailleurs américains organisèrent une grève pour exiger une journée de travail de huit heures. Le 1er mai, suite à une mobilisation, la police chargea la foule au moment de sa dispersion (ça vous rappelle des choses ?).

Bilan: deux manifestants furent tués et 10 blessés. En réaction, une manifestation pacifique fut organisée. Là aussi, tout se passait bien mais au moment de la dispersion, 180 agents de l’ordre chargèrent les quelques centaines de manifestants restants, à Haymarket Square, Chicago. Une bombe fut lancée dans la foule, des coups de feu tirés… Bilan : douze morts et cent trente blessés. Cette tragédie est connue sous le nom de massacre de Haymarket.

En France, le premier mai a également une mémoire tragique pour les travailleurs. Le 1er mai 1891, une manifestation pacifique fut organisée à Fourmies, dans le Nord de la France, pour demander la journée de travail de huit heures (le temps de travail allait généralement de 12 à 15 heures par jour, six jours sur sept, dans des conditions déplorables). La soldatesque, équipée d’armes de guerre (le célèbre fusil Lebel), ouvrirent le feu sur les manifestants, tuant neuf personnes, dont quatre enfants. Écoutez ici Franck Ferrand, dans “Au cœur de l’histoire” : https://youtu.be/mobaEY4zhgI.

Aujourd’hui, le premier mai est, ou devrait être, célébré comme une journée de solidarité entre les travailleurs. Il me semble nécessaire de rappeler les sacrifices des travailleurs du passé pour revendiquer de meilleurs droits et conditions de travail, ainsi que la nécessité de l’union dans la lutte pour une société plus juste et plus égalitaire.

Réalité sociale : travaillez-vous vraiment ?

Vous me connaissez, cela me serait difficile d’écrire un article sans controverse. Le mot «travail» vient du latin «tripalium», un instrument de torture composé de trois pieux. Le mot «labeur», qui donne labour en anglais, vient du latin «labor»: la peine, la souffrance, ce qui fait défaillir, ce qui effondre le corps. Ces étymologies révèlent l’origine négative de ce terme de travail qui, chez les judéo-chrétiens est une punition divine, infligée aux hommes après la chute d’Adam et Eve. Il était autrefois réservé aux esclaves, aux paysans et aux ouvriers, alors que les nobles et les aristocrates étaient exemptés de ce fardeau. Exempté, voire interdit : un nobliau qui voulait labourer un champ devait le faire l’épée à la ceinture pour ne pas perdre son titre, et les activités de commerce étaient interdites aux nobles.

Avec la révolution industrielle, les gens ont quitté leurs terres et rejoint les armées d’employés et d’ouvriers. Puis, avec la sous-traitance de nos productions à des pays à «faible coût de main d’œuvre», les emplois tertiaires ont explosé, et nos populations actives sont devenus des «armées mexicaines». En France, par exemple, on compte plus de 5,2 millions de «cadres» pour 27 millions d’actifs occupés ayant un emploi: un chef pour 5 employés ! Et par ailleurs, quasiment 80% de ces actifs employés travaillent dans le secteur tertiaire.

La définition du travail s’est donc élargie pour inclure des activités intellectuelles telles que la recherche, la gestion des affaires ou la création artistique. Mais cela soulève une question essentielle: est-ce que tout ce que nous appelons «travail» est vraiment du «vrai» travail ? Ne devrions-nous pas distinguer entre ce qui est vraiment épuisant et ce qui ne l’est pas ? Le véritable travail, au sens étymologique du terme, devrait être physiquement épuisant et entraîner une fatigue réelle. En d’autres termes, il devrait être ce qui «effondre» le corps, comme c’est le cas des ouvriers d’usines (même ceux qui fabriquent vos T-shirts à l’autre bout du monde), les mineurs, les travailleurs agricoles, les chauffeurs routiers, les livreurs, les éboueurs, les égoutiers, les serveurs, les femmes de ménages et femmes de chambre, les jardiniers, les cantonniers, mais aussi les chirurgiens, les aides-soignantes, les aides à domiciles… Ces métiers «indispensables» que l’on encensait pendant la crise du CoVid pour les renvoyer à notre dédain celle-ci terminée.

Je trouve donc inexact d’appeler «travail» des activités qui n’épuisent pas le corps, et dont le plus grand risque professionnel consiste souvent à se couper le doigt avec le bord d’une feuille de papier. Pour ces activités, il serait plus approprié de parler d’activités professionnelles ou, comme en anglais, d’occupations. En effet, cela éviterait de galvauder la signification du mot «travail» et permettrait de mettre en évidence la valeur de l’effort physique nécessaire à la production et à la fabrication de biens et de services.

Oh, je comprends bien que mes camarades de LinkedIn, notamment, dont quasiment aucun n’exerce un métier physique et dont la principale dépense physique se fait sur des tapis de course ou dans des cours de Zumba, risquent fort de ne pas être d’accord, et de me dire «Eh ! Toi-même d’abord ! C’est çui qui dit qui y’est». Et je ne parle même pas de mes étudiants, épuisés par un privilège dont une bonne partie des habitants de la planète sont privés… Je souhaite donc vous répondre que oui, je considère qu’aujourd’hui j’ai une activité professionnelle qui n’est pas un travail. J’ai «travaillé», plus jeune, pendant mes vacances ou mes études : ouvrier agricole, manutentionnaire, serveur… Et c’est d’ailleurs ce qui me permet de considérer ma position actuelle comme un privilège. Je crois aussi que c’est ce qui me permet de ne pas traiter les gens qui ont des travaux pénibles comme de la m… Ou de considérer qu’une personne au foyer travaille alors que le gratte-papier moyen, non.

On me renverra, comme souvent, à la «charge mentale» ou aux «burn-out». Or, ces difficultés ne sont pas liées aux tâches elles-mêmes : j’ai accompagné beaucoup de personnes qui avaient fait un burn-out ; le problème vient toujours d’une surcharge de tâches ou d’un environnement toxique, quasiment jamais du travail lui-même. Les gens aiment leur occupation mais pas ses conditions. C’est à mettre en parallèle avec le mode de vie d’un paysan, par exemple, dont la journée commence avant l’aube pour se terminer à la nuit (et pendant les moissons au milieu de la nuit !), ou celle d’un cuisinier, d’un boulanger (un vrai) ou un boucher : qui manient à longueur de journées des sacs, des pièces de viande, des ustensiles lourds. Pensez un peu aux ouvriers d’abattoirs, métier qui détient le record des Troubles Musculo-Squelettiques et des maladies professionnelles.

Enfin, quand je parle «d’épuiser le corps», cela ne signifie pas juste «être très fatigué», cela signifie épuiser comme une pile, comme un stock, s’épuisent. La catégorie des «métiers pénibles» que l’on devrait simplement appeler «travail» est celle dont l’espérance de vie est la plus faible (tout comme le revenu d’ailleurs). Quelle est, au final, la souffrance d’un «travail» qui ne contient aucun risque professionnel, qui vous permet d’être dans les catégories les mieux payées et qui vous assure de l’espérance de vie la plus longue.

Les mots ont un sens. Et en fait, cher lecteur, il y a toutes les chances que votre activité professionnelle ne soit pas un travail. Ce n’est pas une insulte et vous devriez à tout le moins le reconnaître et au mieux vous en réjouir.

Bonne fête des travailleurs, joyeuse fête de Beltaine!

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